Nos cinéastes, pour peu qu’ils cherchent un polar à la tunisienne, ont intérêt à découvrir ce roman : il y a de quoi en tirer un bon scénario.

Il faudrait le dire tout de suite: Azza Filali n’est pas une romancière facile. Deux difficultés de taille rencontrent le lecteur décidé à entrer dans son monde romanesque. La première consiste à s’armer de beaucoup de patience : sur au moins les 150 premières pages (le cas de Ouatann, en l’occurrence), on n’a rien de précis, avec l’impression incommode de n’avoir rien saisi; la seconde est encore plus dure à avaler: la romancière vous fait tourner autour du pot, mais ne vous le montre pas, ne vous en dit pas trop. C’est vous, lecteur, qui, disposant de plusieurs éléments épars, devez jouer à l’inspecteur de police et cerner la responsabilité de chaque protagoniste afin d’élucider l’affaire.

Dans ce village maudit, oublié et abandonné au front de mer quelque part du côté de Bizerte, nous sommes dans le royaume des chômeurs et des sans-diplômes aucun, la débrouillardise et le sauve-qui-peut étant les maîtres-mots. Les petits enfants qui ne souffrent plus quelques classes primaires pour finir à la formation professionnelle le savent bien et ne comptent que sur leur malice pour survivre («L’école est une perte de temps» dira l’un d’eux). L’austérité et l’étroitesse des lieux sont telles que même la police ne vient pas rôder dans les parages –sauf dans le cas d’une mort suspecte. De sorte que les habitants, à ce point livrés à eux-mêmes, sont inévitablement tentés par la corruption malgré leur solidarité et la conscience qu’ils ont de leur quotidien difficile.

Or, il y a la mer ! Et tant qu’il y a la mer, il y a l’espoir. L’espoir de tourner définitivement le dos à ce Ouatann (patrie) qui s’est rarement soucié de ses sujets, de leurs conditions de vie. Dans cette bourgade, on n’a pas le temps de caresser le rêve de partir ailleurs, on part et advienne que pourra. Les passeurs sont là qui, avec la complicité de la pègre italienne, promettent une traversée tranquille de deux heures pour rejoindre Lampedusa, contre bien des liasses de billets de banque. D’où vient l’argent? Système D de tous genres. La peur de couler? Tant pis. On n’a qu’une seule vie, ou la vivre bien, ou couler avec.

Puis il y a cette villa mystérieuse, héritée par un certain Mokhtar de la part d’un Français qui, au moment de l’indépendance, a préféré rester en Tunisie. Il est même mort et enterré dans sa propre propriété. Ayant, plusieurs années plus tard, déménagé à Tunis, Mokhtar aurait bien aimé la vendre, sa fille Michka l’en dissuada. Théoriquement, la villa est fermée et inhabitée, en dehors des visites mensuelles de Michka. Mais les voisins en ont fait un bien personnel qu’ils louent à leur guise aux passagers d’une semaine ou deux. Et c’est cette villa, endroit de rêve pour les mafieux, qui va être le théâtre d’opérations pour le moins interlopes: nous sommes maintenant en présence de la pègre tunisienne. Une pègre qui ne redoute rien, même pas l’arrivée impromptue de Michka que les mafieux ont reconnue pour être une avocate. Mais avocate en chômage après s’être désolidarisée de son patron, lui-même petit mafieux.

Durant environ 48 heures, Michka, aux côtés des mafieux intrépides, hume jusqu’à l’écœurement les relents de la corruption que vit le pays. Pourtant, elle a une solution: partir au Canada rejoindre son frère. Oui, évidemment… Mais est-ce ça le destin de notre Ouatann: partir, diplômés comme chômeurs, et le livrer aux pilleurs et aux sans-scrupules? Et que ferons-nous de notre mémoire collective, de la mémoire de nos parents et nos frères morts pour sa liberté?

(*) Editions elyzad, 390 pages, 15 dinars

Mohamed Bouamoud


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