Le petit Mohamed est né dans la Médina de Tunis dans une rue parallèle à la mosquée Zitouna. Ses parents, comme tous les parents du quartier, ne voulaient pas que leurs enfants restent dans la rue pendant les vacances, alors ils les plaçaient chez les artisans. Mohamed Lidarssa était, lui, chez un vendeur de bijoux en argent.

C’était les années 80 et le début du tourisme de masse avec ses conséquences parfois regrettables. Les touristes lâchés dans les souks créèrent un afflux de demandes de plateaux en cuivre, mais pas de dinanderie de qualité…non, un palmier, un nom gravé et cela faisait l’affaire. Alors la tradition de la dinanderie d’art a commencé à tomber petit à petit dans l’oubli.

Mohamed voulait apprendre mais dans les échoppes voisines, les graveurs étaient trop occupés pour se soucier de ce jeune qui rêvait d’apprivoiser la matière.

Le patron du jeune homme, Othman Ben Salah, voyant qu’il était vraiment résolu, lui a acheté ses premières plaques de cuivre, un marteau, un burin et lui a dit «vas-y apprends!». Mohamed commença ainsi, en faisant des gestes, n’importe comment ; mais comme il adorait dessiner, il a très vite su reproduire les chameaux et les palmiers que gravaient les ateliers pour touristes. Ce n’était pas extraordinaire certes, mais en revanche cela lui a donné une grande liberté puisqu’il n’a été formé dans aucune école, à aucun des courants qui régissaient la profession.

Il faut savoir qu’à cette époque encore, il existait plusieurs « écoles » comme en peinture ; les ouvriers reproduisaient ainsi les mêmes motifs jusqu’à la fin de leur vie, soit en ciselure, soit en repoussage. Un demi siècle auparavant, de grands maîtres réalisaient des pièces pour des clients exigeants qui créaient ainsi une émulation, chacun essayant de se surpasser pour faire mieux que son concurrent. Mais avec l’évolution décrite ci-dessus, les commerçants finirent par dominer la production avec une demande à très bas prix et les artisans cédèrent; pour baisser les coûts, ils ont négligèrent les étapes. Quelques uns  préférèrent par cesser de travailler le cuivre plutôt que de faire de la camelote.

Lotfi Ben Njim, un vieux dinandier considéré comme le meilleur, était de ceux-là. Un jour, le patron de Mohamed, voulant que le jeune homme puisse progresser, appela ce vieux monsieur, à la retraite depuis 20 ans et lui demanda d’apporter une pièce pour montre à son jeune employé ce qu’était vraiment le métier… Le vieillard passa des heures sur une petite assiette qu’il ramena en s’excusant. De fait, un enfant de 6 ans aurait fait mieux ; interloqués, Othman et Mohamed n’en crurent pas leurs yeux et furent très déçus. Lofti se confondit en excuses, expliquant qu’après 20 ans d’oubli, ses doigts étaient rouillés, il les pria cependant de lui laisser la chance d’apporter une autre pièce.

Ils ne purent lui refuser cette faveur, même s’ils étaient convaincus d’avoir fait fausse  route. Le vieux dinandier revint le lendemain, puis le surlendemain avec des pièces de meilleures factures bien que toujours banales… mais le quatrième jour, quand il dévoila le chef d’œuvre que ses vieux doigts avaient réussi à produire, Mohamed comprit que cet art « nécessitait de remettre cent fois sur le métier son ouvrage », comme l’écrivait Nicolas Boileau ; il se sentit alors tout petit devant le maître et apprit vraiment son métier à partir de ce jour-là.

L’histoire était trop belle pour ne pas la raconter, et le résultat ? Ce qui n’était au début qu’un hobby est devenu une véritable passion et un don confirmé. Mohamed Lidarssa a réalisé les pièces de cuivre des vitrines de notre grande dame, Léïla Menchari, pour Hermès, les objets réalisés pour l’exposition sont aujourd’hui conservés à l’Institut du Monde Arabe à Paris. Son atelier, Lidarssa, créé en 2006, figure depuis cette date dans le guide Michelin sans qu’il ne sache comment.

Aujourd’hui Mohamed Lidarssa travaille avec son frère, il a un atelier à la Médina, exporte vers l’Australie, le Qatar, la Suède, la Suisse et la France. Il réalise des pièces d’une rare beauté pour quelques clients tunisiens mais surtout pour des Européens auprès de qui la bouche-à-oreille a fait recette. A côté des merveilles qui peuplent son atelier, telle la caverne d’Ali Baba, on peut commander des objets selon ses besoins.

Mohamed Lidarssa fera partie des Tunisiens artisans d’art présents au salon Maisons et Objets de Paris. Un ambassadeur en or…

Mohamed Lidarssa, atelier, 15 avenue Habib thameur bou’mhal, show room 2, impasse du blé, Tunis. Tél : 71 20 01 59 –  97 56 76 67   http://www.artisanat-lidarssa.com/

Charlotte Carli


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