Elle s’appelle Sarah Zein. Elle n’a que 24 ans, mais son nom est retenu par l’Organisation des Nations unies (ONU) pour son action en faveur du climat. Elle a été récompensée, parmi les leaders de 15 initiatives de changement écologique dans 14 pays, lors du Sommet mondial (COP24), organisé, du 2 au 14 décembre, dans la ville de Katowice en Pologne.

Son histoire a inspiré des milliers de personnes dans son pays et partout dans le monde. Car, au moment où son propre pays, la Syrie, continue d’être le théâtre d’une guerre pour la liberté et la paix, elle a lancé son propre combat pour sauver la Terre.

A travers son initiative “Yalla, let’s bike” (Allons-y, faisons du vélo), elle a réussi à convaincre des milliers de Syriens et d’autres à travers le monde, d’adopter un moyen de transport écologique: le vélo. La jeune syrienne, qui travaille actuellement avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), a accordé un entretien à l’agence TAP à l’occasion de la COP24. 

Comment est né le mouvement pour le climat “Yalla let’s bike” dans un pays en guerre pour la paix?

Sarah Zein : En 2013, j’ai décidé de remplacer les moyens de transport classiques et la voiture par le vélo, parce que la capitale Damas a connu un étouffement du trafic et une prolifération des check-points à cause de la guerre.

Mon premier trajet à vélo vers l’Université a duré 18 minutes au lieu de 45 à 50 minutes en voiture ou par les moyens classiques de transport public.

Malheureusement, je suis revenue à la maison en larmes et choquée à cause des harcèlements sexuels verbaux que j’ai subis durant tout le trajet. L’image d’une femme à vélo n’est pas coutumière en Syrie et elle n’est pas acceptée socialement en raison des clichés bien ancrés sur le cyclisme et la virginité des jeunes filles.

Cette peine que j’ai ressentie s’est transformée en détermination à changer et à faire quelque chose au lieu de blâmer la société. J’ai réalisé, à ce moment là, que le changement est la responsabilité de nous tous.

J’ai ensuite rencontré un ami âgé de 40 ans, conférencier à l’Université de Damas. Lui,aussi a choisi de se déplacer à vélo. En dépit du comportement “ridiculisant” de la part de ses étudiants, quand il arrive à l’université en uniforme, il a tenu bon et il a continué à se déplacer à vélo.

Il y a un stéréotype dans la société syrienne concernant l’utilisation des vélos. Dans notre mentalité, ce moyen de transport est réservé aux pauvres.

Comment tu t’es lancée dans ce combat pour le climat, alors que dans ton pays, les gens luttent pour la paix?

Nous avons lancé l’initiative en 2014 dans la capitale Damas qui constitue la région la plus sécurisée en Syrie. C’est normal, on ne peut pas parler d’environnement dans des zones de conflits où les besoins humains de base ne sont pas satisfaits. Mais, notre initiative a été comme une échappatoire d’un quotidien marqué par les nouvelles de mort, de chaos et d’embouteillage à cause des check-points.

L’initiative nous a aussi réunis à un moment où le peuple syrien a été divisé en deux parties opposées. Nous étions unis pour l’amour du vélo et nous avons oublié les appartenances politiques et toutes les divergences.

Nous sommes descendus, par milliers, dans les rues de Damas et Homs. Nous étions des personnes de toutes les catégories et de toutes les appartenances. Notre objectif était d’oublier ce qui se passe en Syrie et de retrouver notre solidarité ébranlée et affaiblie par la guerre.

L’action climatique n’est pas compliquée, il suffit d’adopter une hygiène de vie et un comportement écologique où que l’on soit, après, plusieurs personnes vont suivre.

Depuis que la guerre s’est déclenchée en Syrie, toutes les associations de la société civile ont orienté leurs actions vers les secours, ce qui est normal et nécessaire. Mais, nous, nous sommes tous convaincus que l’action de développement doit continuer et que ses impacts seront ressentis après la guerre, quand la paix sera rétablie.

Est-ce que tu crois que ton initiative est capable de créer la différence et d’aider à limiter les impacts de la crise climatique?

Depuis le lancement de notre initiative, les ventes de vélos ont augmenté de 60% en Syrie. 40% des acheteurs sont des femmes, selon des vendeurs de vélos à Damas.

Sans aucun doute, remplacer les voitures par des vélos contribuera à la réduction de l’exploitation de l’énergie fossile et, partant, la réduction de la pollution de l’air. Aujourd’hui, nous brûlons des calories au lieu de brûler de l’essence. Ainsi, nos villes seront plus dynamiques, plus jeunes et plus écologiques.

Quelle était la réaction de votre famille face à votre initiative, au départ ?

Il faut dire que ma mère avait, au départ, quelques réserves essentiellement nourries par les réactions hostiles des voisins, de notre famille et entourage. Des réactions qu’elle m’avait souvent rapportées, pensant que cela pourrait m’amener à renoncer à cette initiative.

Par contre, la position de mon père était plutôt favorable. Il m’a beaucoup encouragée. C’est d’ailleurs qui lui qui m’a appris à faire du vélo depuis mon jeune âge.

C’est frustrant de constater que ce sont les femmes qui s’opposent à la liberté des femmes dans ma société.

Quel est votre objectif pour les années à venir ?

La cause que j’ai épousée de plein gré, c’est celle de contribuer à instaurer un environnement favorable à tous. Un environnement où nul n’aura honte d’afficher son genre, son appartenance, son ethnie, ses capacités mentales ou physiques. Un environnement où toute forme d’exclusion ou de violence serait prohibée.

L’initiative “Yalla Let’s Bike” a réussi à atténuer le gap entre les deux sexes et à limiter les pratiques de harcèlement.

J’ambitionne actuellement d’initier, en collaboration avec nombre d’associations et d’organisations, un nouveau projet sur les droits relatifs à la santé sexuelle et reproductive dans mon pays, la Syrie.

Quel message voulez-vous adresser à votre génération et aux générations futures ?

Le scoutisme et la vie de camp m’ont surtout appris à laisser les endroits où j’ai campé dans une meilleure situation qu’ils ne l’étaient à mon arrivée. Ça m’a inculqué le respect des personnes qui sont déjà passées par ces endroits et celles qui feront le passage après moi.

C’est de cette manière que nous devons aujourd’hui nous comporter vis-à-vis de la terre.

Avant de nous lancer dans la quête d’une autre planète viable, exprimons d’abord toute notre gratitude pour tout ce que cette Terre, la nôtre, nous offre, et préservons-là.

Quel message souhaitez-vous adresser à la femme dans le monde arabe ?

A la femme arabe je dirais que “tout au long de ta vie, il y aura certainement ceux qui essayeront de te caser en te traçant d’emblée les rôles que tu dois jouer dans cette vie, en fonction de ton sexe. Tout cela importe peu. Ce qui compte vraiment c’est le choix que tu vas faire. C’est à toi d’accepter où de refuser leur ingérence dans ta vie!”.

On ne peut pas continuer à vivre dans une société où la femme se contente du rôle de la victime qui subit des consignes contre lesquelles elle se sent impuissante.

Je refuse personnellement cette victimisation de la femme. Le premier ennemi de la femme, c’est la femme elle-même quand elle incarne le rôle de la victime, cède à l’injustice et sacrifie ses droits.

La femme c’est tout simplement un être humain qui, tout comme l’homme, est amenée tout au long de sa vie à relever des défis.

Nous sommes tous responsables de notre propre destin et c’est à nous d’opérer le changement tant désiré vers une meilleure vie. Nous devons, juste, croire en nous et en nos capacités pour amener les autres à croire en nous et à nous respecter.


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